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On the Wrong Side : Traduction anglaise d’Avers

Teresa Lavender Fagan is a freelance translator living in Chicago, who has published over 20 translations, including J. M. G. Le Clézio’s The Mexican Dream (1993) and, for Seagull Books, his Mydriasis followed by To the Icebergs (2019). She has also translated works by Roland Barthes, Tzvetan Todorov, Diane Meur, Vénus Khoury-Ghata and Florence Noiville, among others.

Quatrième de couverture :

A short story collection from Nobel Prize winner J. M. G. Le Clézio offers a poignant and powerful exploration of the lives of the underprivileged and marginalized.

J. M. G. Le Clézio’sOn the Wrong Side, a collection of eight short stories, continues the author’s life-long pursuit of granting visibility to the unseen and a voice to the voiceless. Here, the author focuses on the underclasses, primarily children who have been left behind, abandoned, and subjected to unspeakable violence.

In these haunting tales, we encounter Maureez Samson, a mistreated orphan from Rodrigues Island, who, thanks to her exceptional voice, becomes a famous singer and defies all expectations; some young Indians in Darién, a region straddling Panama and Colombia, struggle to raise their young son and save their idyllic land from its invasion and destruction by drug lords; Juanico and Chuche, two slave children who are taken in by the community of Saint Kateri Takakwitha after an arduous and perilous journey; and in Nogales, on the border between Mexico and the United States, the “street rats,” children who cross through the sewers to wreak havoc and perhaps indulge their dreams of life on the other side.

In Le Clézio’s own words, these stories are not simply meant to reveal or describe the plight of the “rejected,” but to “create in the reader a feeling of revolt in the face of the injustice of what is happening to them.”

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RENOUER AVEC LA TERRE EXTATIQUE : ESSAI DE SENSOPOÉTIQUE CHEZ J.M.G. LE CLÉZIO, PAR MARINA SALLES

Justine Feyereisen, Renouer avec la terre extatique, Essai de sensopoétique chez Le Clézio, Préface de Dénètem Touam Bona, Paris, Classiques Garnier, Coll. « Études de littérature des xxe et xxie siècles », n° 122, 2024, 283 pages. 

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 « Comment écrire le vivant après la Modernité ? Comment retisser les liens entre sensations, éthique et action ? Comment témoigner des trajectoires de vies indésirables ? Comment rendre sensible ? » : telles sont les grandes questions au cœur de l’essai de Justine Feyereisen, Renouer avec la terre extatique, au titre poétique emprunté à L’Extase matérielle. Un livre qui offre une lecture personnelle et originale de l’œuvre leclézienne au prisme d’une approche sensopoétique – annoncée dans le sous-titre –, c’est-à-dire d’une attention à la sensorialité comme « principe de production littéraire » (p.151) permettant d’abolir les frontières génériques et la hiérarchie entre le récit et la description. Cette dernière, loin de sa fonction d’ancilla narrationis que lui confèrent les romans classiques et réalistes, agit dans les textes lecléziens comme « outil de déchiffrement » de la relation au monde, « dé-scription », « clé de lecture des questionnements épistémologiques, esthétiques et éthiques » (p. 26). Dans le sillage du sensory turn qui, depuis le début des années 80, repense « l’anthropologie du corps » (David Lebreton) et réévalue « l’importance des affects dans les domaines de l’esthétique, de l’éthique et de la politique » (p. 23), Justine Feyereisen analyse la poétique des sens dans l’œuvre de J.-M.G. Le Clézio non sous l’angle thématique comme cela fut fait dans certaines études antérieures, mais selon « une herméneutique textuelle » personnalisée qui convoque et entrelace les outils nombreux et variés de la linguistique, de la stylistique (présence de plusieurs schémas heuristiques conçus ou adaptés par l’autrice) et ceux de la philosophie contemporaine – la pensée de Walter Benjamin apparaissant comme une vive source d’inspiration. Avec, à l’occasion, une incursion du côté de la littérature comparée pour instaurer un dialogue entre les Sirandanes de J.-M. G. et Jemia Le Clézio et les « Aphorismes » de Malcolm de Chazal (Sens plastique) ou observer le parallélisme entre La Quarantaine et deux romans de Patrick Chamoiseau à propos des « corps captifs » (p. 187). 

 L’essai se déploie en quatre volets – Rythme, Témoin, Corps, Visions intermédiales – selon une composition rigoureuse : un premier chapitre apportant un éclairage théorique sur le concept-titre est suivi d’analyses monographiques ou transversales qui embrassent une grande partie de l’œuvre, le tout précisément inscrit dans le cadre socio-historique et épistémologique de l’écriture des textes. Sont ainsi rappelés le contexte troublé des années post-Deuxième Guerre mondiale, de la Guerre d’Algérie, la course au progrès et à la consommation des Trente Glorieuses, la rupture de Mai 68, les crises migratoires, l’effondrement des idéologies … et leur impact dans les domaines de la pensée et de l’art : nouvelles perceptions du temps et de l’espace (cf. le spatial turn), remise en cause de l’historiographie officielle au profit du témoignage et de la micro-histoire, soupçon porté sur le langage et sur les formes narratives existantes (cf. le Nouveau Roman, le Nouveau Cinéma). Il faut souligner la riche érudition qui sous-tend chacun de ces chapitres introductifs et l’impressionnant appareil de notes de bas de page qui témoigne d‘une connaissance parfaite de l’état actuel de la critique sur ces différentes questions et sur l’œuvre de J.-M.G. Le Clézio en général. 

L’étude stylistique du rythme, de l’expression de la mémoire, de l’appréhension corporelle du monde s’avère, en l’occurrence, une démarche privilégiée pour interroger le rapport de l’écrivain « à son temps comme au temps » (39) et mettre en évidence certaines spécificités de la narration leclézienne : subversion des genres, pluralité, voire réversibilité des points de vue, polyphonie narrative, descriptions « phénoménales » livrant le ressenti subjectif du sujet, « dépersonnalisation symbolique » (153) du personnage (Le Procès-verbal), et pour les nouvelles, minorisation de l’événement au profit du ressenti corporel. La première partie fonctionne comme une ouverture musicale qui présente les lignes de force de l’essai : primat de la littérarité au service de l’analyse des enjeux ontologiques et historiques de l’œuvre leclézienne. Justine Feyereisen, s’appuyant sur le concept bachelardien de rythmanalyse et sur les travaux respectifs de Henri Meschonnic, de John Dewey, montre comment le rythme, que Le Clézio déclare « préexixtant à [son] écriture », se révèle « un opérateur de subjectivité et d’historicité » (35). En rupture avec la conception dualiste du langage liée au logos, le rythme leclézien, conçu non comme une scansion régulière figée, mais comme mouvement et variation, est ce par quoi l’auteur de L’Extase matérielle réalise son souhait d’ « exprimer l’aventure d’être vivant » en permettant à ses personnages de « renouer avec la terre extatique », retrouver l’accord au sens musical du mot avec les rythmes, les voix et les silences du monde : telles Letitia London (« LEL, derniers jours ») à l’écoute du « mouvant de la mer » ou Lalla percevant sur les chemins du désert les images et le chant qui la relient à ses ancêtres, les hommes bleus. Par la répétition ou la conjonction des isotopies, le rythme « spatialise » le temps » (40), le reterritorialisant, après les cassures du siècle et à rebours du « présentisme », ce « régime d’historicité » (Hartog) propre à l’époque, sur le mythe et la poésie par la figure de la spirale ou l’image benjaminienne de l’origine comme « un tourbillon dans le fleuve du devenir ». C’est à la lumière de ces métaphores spatiales que sont étudiés Désert et Gens des nuages, textes dans lesquels l’involution vers le passé, présentifié grâce au rythme, ouvre sur l’avenir. Le rêve récurrent de l’exode du peuple de Meroe dans Onitsha, préfiguration d’événements tragiques ultérieurs – colonisation, destruction d’Aro Chuku, Guerre du Biafra  –, la « ritournelle » du Boléro de Ravel – ostinato (Révolutions) et crescendo (Ritournelle de la faim ) –, cet « avertissement » lancé vainement par le compositeur à l’Europe au bord du gouffre de la Deuxième Guerre mondiale, le concept de Révolution décrit, essentiellement à partir du Procès-verbal, comme un « processus » qui, malgré ses errances et ses échecs, alimente l’espérance utopique, font l’objet de micro-analyses exemplifiant de manière très convaincante la dimension historique et politique du rythme.

Consacrée à l’écriture de la mémoire intime et collective, la seconde partie est centrée sur la fonction de témoin que J.-M. G Le Clézio revendiquait pour l’écrivain dans son Discours de Stockholm et qu’il s’attribue dans Gens des nuages, le récit, co-écrit avec son épouse Jemia, de leur voyage à La Saguia el Hamra. Les violences inouïes qui ont émaillé l’Histoire du XXe siècle sont à l’origine de nombreux récits de filiation attachés à en garder trace et porteurs d’une « post-mémoire » traumatique. Si, dans les années 1980, l’auteur du Procès-verbal opte à son tour pour une écriture plus personnelle en quête du passé familial, d’une « mémoire interdite » (84), en particulier dans les livres du cycle mauricien, il passe toujours par le truchement de « témoins fictifs » (89) chargés de transmettre moins les faits objectifs que le vécu sensoriel des personnages. Ainsi de la tante Catherine qui, dans Révolutions, reliques à l’appui, confie à Jean Marro la mémoire de Rozilis, des souvenirs archivés par la mère du narrateur à l’origine du roman Ritournelle de la faim ou de ces nombreuses figures de conteuses inspirées de modèles réels – la grand-mère de l’auteur, Elvira rencontrée au Darien –, dépositaires et passeuses d’une histoire familiale ou culturelle. La littérature se fait alors « lieu de mémoire ». L’effacement de l’auteur au profit de ces personnages-témoins « disséminés aux quatre vents de la fiction » (91), selon l’heureuse formule de Justine Feyereisen, engendre une multiplicité de points de vue dont l’effet est double : donner à entendre les voix minorées ou tues par les récits officiels, celles des victimes, mobiliser les affects et l’activité du lecteur pour le décryptage idéologique du texte.  Raconter la guerre à travers le regard et les sensations des enfants qui la subissent, comme le fait l’auteur d’Étoile errante dont l’essayiste observe avec précision les variations de focalisation et la complexité énonciative, dispense ainsi de tout discours surplombant pour en dénoncer les violences et l’absurdité. À la question récurrente sur une possible utilité de la littérature, le texte leclézien répond par une écriture qui, renouant avec le « pathos » au sens aristotélicien du mot, « rend sensible », c’est-à-dire « accessible par les sens » (144) la condition des oubliés de l’Histoire, des « indésirables », des migrants en particulier –  illustrée ici par trois nouvelles : « Barsa ou Barsaq », « Le Passeur », « Kalima »  –  dont le lecteur est invité à « co-sentir » (133)  les émotions (colère, peur, ressentiment) susceptibles de le pousser à l’action. 

 L’approche sensopoétique met en avant le corps comme « nœud de significations vivantes »  (Merleau-Ponty, cité p. 187), les motifs de l’araignée (sujet de la nouvelle « pivot » du recueil Histoire du pied) ou du sismographe emblématisant une œuvre attentive à toutes les vibrations. Ce troisième volet se place tout naturellement sous le signe de la Phénoménologie de la perception de Merleau-Ponty qui, à l’encontre du dualisme cartésien ou de l’empirisme, ne sépare pas l’esprit du corps, la perception du sens, et fait du vécu sensible la forme privilégiée de « l’être au monde ». Justine Feyereisen y propose « une lecture phénoménologique et une analyse textuelle » (151) du Procès-verbal et de certaines nouvelles d’Histoire du pied. Le corps est à l’origine de toute expérience des protagonistes lecléziens dotés d’une vive acuité sensorielle et du pouvoir d’atteindre cet état d’osmose avec le cosmos ou les autres espèces vivantes que Le Clézio nomme « extase matérielle » dans l’essai qui porte ce titre. En dissidence avec le rationalisme et la société de consommation, le premier d’entre eux, Adam Pollo, voit son identité se dissoudre au cours de ses différents « devenir-autre » (Deleuze) : un chien, un rat, une lionne, une graine… Arraché à son incarnation contingente, sensible au mouvement brownien de la matière, il accède, par la voie de la « simultanéité » qui contracte l’axe du temps, à une forme d’éternité, et « s’anéantit par le double système de la multiplication et de l’identification » : des expériences dé-personnalisantes qui le mènent à la folie, à l’aphasie, au regresssus ad uterum  dans lesquels il se réfugie in fine, définitivement coupé de ses contemporains. Dans les nouvelles d’Histoire du pied, la valorisation de l’esthésiel’anthropomorphisation de la nature, le dédoublement de l’être en corps sensible et percevant, objet et sujet, relèvent davantage d’une quête d’harmonie entre le dehors et le dedans : celle que l’auteur de Haï avait observée lors de ses séjours chez les Indiens Embera et Waunana pour qui « L’INTÉRIEUR C’EST L’EXTÉRIEUR », matérialisée par les peintures corporelles.  La démarche analogique de Jean-Marie Le Clézio suscite de judicieux rapprochements avec le poète mauricien Malcolm de Chazal et l’écrivain d’origine martiniquaise, Patrick Chamoiseau. Justine Feyereisen observe un même tropisme pour l’enfance, l’origine, assorti d’une préoccupation didactique, dans les Aphorismes de Sens plastique et les Sirandanes recueillies par J.M.G et Jemia Le Clézio, et la volonté commune aux auteurs de « redonner aux mots leur dimension phatique et poétique » (183). Deux romans de Patrick Chamoiseau, Traces-mémoires du bagneUn Dimanche au cachot sont convoqués pour comparer l’appréhension par les corps – des « captifs », mais aussi des témoins grâce aux « traces mémoires » – des conditions de détention pour les arraisonnés de La Quarantaine ou les détenus du bagne, du cachot : une approche qui élit « la fonction émotive » (Jakobson) pour dénoncer le système colonial et toutes les formes de domination et d’oppression exercées par les pouvoirs sur « les vies dominées ». 

Un dernier volet ouvre sur les « visions intermédiales » d’un écrivain désireux d’élargir sa palette d’expression au-delà des mots en recourant aux langages iconiques. Le soupçon nourri par un grand nombre de philosophes contemporains (Sartre, Merleau-Ponty, Lacan, Barthes, Luce Irigaray) à l’égard de la vue comme possible adjuvant des sociétés de surveillance et de spectacle se retrouve dans les romans urbains de J.M.G Le Clézio, dont La Guerre, mais aussi dans Haï où l’utilisation d’images publicitaires renforce la critique de la société de consommation. Mais, sans manichéisme, l’auteur nourrit ses narrations de procédés empruntés   à ces différents médias. Les photographies insérées dans Gens des nuages ou L’Africain ouvrent   ainsi les portes de la mémoire et offrent, dans le second cas, un portrait oblique – et pudique – du père. Une étude cinématographique d’Onitsha vient compléter les travaux antérieurs sur les relations entre l’écriture et le septième art pour lequel l’auteur de Ballaciner nourrit une passion depuis l’enfance et le chapitre ultime consacré à l’exposition du Louvre de 2011 confirme J.-M.G. Le Clézio en « passeur des arts et des cultures », opposé à toute forme de hiérarchie et d’institutionnalisation en matière artistique.  

L’essai exigeant de Justine Feyereisen enrichit la critique leclézienne par la rigueur de ses analyses, la focalisation sur le Comment qui nous immergent au cœur du processus scriptural, par cette lecture sensopoétique qui met en exergue le rapport sensible, voire émotionnel, de l’écrivain au monde et aux autres, et par l’attention à la manière dont « s’articulent dans l’œuvre de Le Clézio […] l’éthique, le poétique et le politique », pour citer la belle préface de Dénètem Touam Bona. D’où il ressort que l’implication de l’auteur dans son temps, souvent rappelée et qui implique le lecteur à son tour en l’invitant à la distance critique, voire à l’action, est avant tout un engagement dans et par l’écriture. 

                                                                                              Marina Salles, août 2024

ENTRE LES FEUILLES, EXPLORATIONS DE L’IMAGINAIRE BOTANIQUE CONTEMPORAIN, PAR ISABELLE ROUSSEL-GILLET

Entre les feuilles, explorations de l’imaginaire botanique contemporain, de Rachel Bouvet, Stéphanie Posthumus, Jean-Pascal Bilodeau et Noémie Dubé, publié aux Presses de l’Université du Québec, collection « Approches de l’imaginaire », 2024.

« Tout comme il y a une « fabrique des corps désarmés », liée à la mise en place de l’État moderne et des systèmes coloniaux, il y a une fabrique des terres désarmées. Le désarmement de la nature, c’est la construction historique et politique de son impuissance. » Dénétem Touam Bona, Sagesse des lianescosmopoétique du refuge, 1, page 83.

Entre les feuilles… Dès le titre programmatique de cet ouvrage multiplumes consacré aux univers du végétal, un essentiel nous est livré : l’importance de l’entre, pour un livre à la croisée de l’observation botanique, de l’étude de textes littéraires, de deux approches géopoétique et écocritique se déployant depuis la mi-temps des années 90. C’est l’écart que nous avons en commun, écart pris au sens où l’entend François Jullien, qui ouvre l’éloge de la relation convoqué par cet entre. Il nous incite à penser que produire de l’entreest la condition pour promouvoir de l’autre, ce qui serait le premier gage d’une approche non anthropomorphique des végétaux. Si l’introduction de cet ouvrage rappelle quelques préjugés relatifs aux plantes (l’immobilité) et à la nature (binarité nature/culture qu’invite à repenser Descola), elle s’en éloigne vite pour circonscrire le champ très étudié depuis les années 2000 sous le nouveau paradigme de l’agentivité des plantes, des travaux de Francis Hallé à Emanuele Coccia, ou lors d’expositions comme Nous les arbres(Fondation Cartier, au titre certes anthropomorphique). C’est le medium du texte littéraire – et non scientifique – qui est cependant à l’honneur ici, pour explorer l’imaginaire botanique, selon six paramètres : intention, posture, spatialité, temporalité, techniques et mobilité (p. 13).

Une des originalités tient à la corrélation de la structure du livre rhizomique avec celle de la cartographie numérique qui fut le premier chantier de cette réflexion d’ampleur. Nous souhaitons d’emblée poser en exergue et écho liminaire l’essai Sagesse des lianescosmopoétique du refuge, 1, de Dénétem Touam Bona (Post-éditions, 2021) qui porte un même intérêt deleuzien et euristique au rhizome. Cet essai qui confère à la liane sa valeur opératoire pour une approche par le mouvement, la fugue euristique, pointe aussi l’imagerie coloniale liée à ce végétal avec ses avatars : le patriarcat et la propriété. Il s’agit d’appeler et de vivre ce mouvement mais encore de désintoxiquer les imaginaires en les réinventant et en les décryptant, de réfléchir à l’outil qu’est la carte et suivre des personnages marcheurs, qui pratiquent le lieu. L’essai annonce la liane au titre, l’ouvrage collectif l’aborde dans les dernières pages, notamment en citant Patrick Nottret, et tous deux relèvent la valeur refuge des forêts où se cacher, telle la pratique du marronage, et l’enchevêtrement qui abolit les frontières. De très belles pages d’Entre les feuilles différencient finement l’enchevêtrement de l’emmêlement (p. 261). À la lecture se dégagent des perspectives pour se tenir loin des prédations coloniales puis des lois du marché comme la forêt-refuge (terme de la législation québécoise, p. 216) ou les solidarités d’une communauté.

Une autre originalité tient à la genèse de l’ouvrage : la conception d’une cartographie mise en ligne depuis 2021 que nous invitons à explorer, invitation à votre propre mobilité de lecteur, navigant sur la toile, pour vous immerger dans les relations entre plantes et humains, entre plantes, choisissant parmi des entrées « plantes », « fonctions », « romans ». Ce support numérique cartographie les mobilités de plantes, choisies pour leur occurrence dans un corpus de récits. Cette photographie conservatoire contribue ainsi à la compréhension du patrimoine végétal, puisque se pose la question de la mémoire des lieux, d’un herbier pensé comme « catalogue du vivant » et « vestige de mondes disparus » (p. 57). 

Dans cette continuité, l’essai offre une entrée par la botanique dans la mémoire de l’île plate de La Quarantaine de Jean-Marie Le Clézio, avec les importations de plantes, ou des gestes pour cultiver le maïs des Jésuites (Ourania) au passé trouble du jardin (ancienne caserne, réseau de prostitution). La métaphore végétale en dit long – « Les goyaves pourrissaient dans la terre » (Le Clézio, p. 224) – et évoque la nécessité de penser l’histoire des écosystèmes en relation avec l’histoire humaine, strate par strate. L’écrivain est alors un révélateur de traces, un archéologue des disparitions, ainsi dans Raga où ouvrir « des chemins neufs, en frissonnant de crainte, entre les tombeaux des anciens disparus. » (p. 115) Si les autrices et auteur insistent sur la dimension sacrée, elle concerne cependant plutôt la fécondité : rituels magiques pour semer des graines, conception d’une terre-mère, jardins semés « selon un plan qui doit ressembler à la magie. » (Le Clézio, p. 70)

Notre fil rouge de lectrice sera de nous concentrer sur les lectures d’un récit de voyage autobiographique et de deux romans au personnage voyageur de Jean-Marie Le Clézio, ce qui rejoint le geste du livre d’aborder quatre figures : l’herbier avec les personnages du botaniste et de la guérisseuse dans La Quarantaine (1995), le jardin pour la forêt-jardin dans Raga : approche du continent invisible (2006) – qui renvoie donc aussi à la forêt – et le champ avec les pages consacrées aux fraises et enfants du Mexique dans Ourania (2006). L’arbre est l’absent de l’ouvrage comme indiqué page 287. Nous notons que le jardin, notamment avec ses légumes-racines est présent dans les trois livres du corpus leclézien. Et parmi les portraits de neuf plantes essaimés dans l’ouvrage, (caféier, orchidée, igname, rosier, pomme de terre, canne à sucre, figuier, ortie, fougère), relevons la canne à sucre qui sert la critique de Jean-Marie Le Clézio de la colonisation dans ses modes de prédations du sol, d’exploitation et d’épuisement par des monocultures intensives, et l’igname à la dimension sociale soulignée dans Raga. Et si vous êtes en quête de cocotiers (« reliquats de la colonisation », écrit Le Clézio) rendez-vous sur la cartographie virtuelle, c’est la dixième plante bonus. Jean-Marie Le Clézio l’évoque dans son cycle indianocéanique. Au prisme des plantes, l’essai épingle l’exotisme, salue la difficulté de traduire un nom vernaculaire de plante (avec cette idée très originale d’une résistance à la traduction, p. 28). La question de la diversité, dès la nomination vernaculaire, est prise en charge par la constitution des banques de graines, patrimoine protégé par un Pierre Rabhi ou reconstitué par une Vandana Shiva. Cet éloge de la variété des plantes, de la biodiversité concerne aussi les humains à Campos (Ourania, p. 209), dans une pensée inclusive dans le monde du vivant inter-espèces. Nul doute que Jean-Marie Le Clézio accorde une place à la question coloniale, aux êtres humains qui la subissent, comme à la terre, l’environnement qui en est altéré, et cela dès l’écriture du Rêve mexicain, récit de la rupture écouménale provoquée par le génocide des Autochtones. À tous les niveaux, – végétal, humain et narratif –, l’entrelacs et la diversité sont des dynamiques à l’œuvre, fécondes.

Nous pourrions décliner la poétique de la liste, dans Ourania (même pour les fraises, une liste des variétés de fraises où dénotent les noms donnés comme Dollar !), en un long poème : brèdes malbar, bevilacqua (La Quarantaine) etc. Pour Raga rendez-vous en fin du parcours de la cartographie littéraire des plantes consacrée en 2019 exclusivement à ce récit par le même groupe de recherche.

L’essai questionne tant l’échelle (de l’herbe au microscope à la carte planétaire pour voir le déplacement) que le sensible, mais ce qui domine est, d’une part, la vertu du mouvement, du désir, que ce soit dans la migration, mobilité et plus finement dans la manière d’habiter le monde : ménager, bâtir en cultivant (Martin Heidegger), pour un habiter actif (Olivier Lazzarotti). Et, d’autre part, les effets produits par les plantes sur le récit qui se mesurent au rythme alenti harmonisé à celui des plantes, ou à la délinéarisation du récit sous l’effet d’un écosystème impénétrable. L’effet joue sur l’ouvrage-même ; Entre les feuilles file l’entrelacs facile à suivre grâce à une structure bien solide et campée. Vous apprendrez qu’une jungle met 700 ans à se régénérer (p. 251), vous apprendrez bien d’autres choses encore, vue la richesse de l’ouvrage, d’une lecture néanmoins très fluide. 

Les analyses du récit leclézien épinglent un savoir enclos, l’obsession en « vase clos » du scientifique John Metcalfe avec ses réflexes méthodiques d’arpentage, de classification, sa passion du savoir – mais aussi des savoirs quand il retient la variation créole d’une plante et non exclusivement la nomination latine –, de notes fragmentaires dans son carnet, sa volonté de trouver l’indigotier sauvage auquel donner son nom, en toute vanité (La Quarantaine). L’essai note que « La dénonciation de certains travers de la civilisation occidentale va souvent de pair avec une valorisation de savoirs autres, traditionnels, émanant de civilisations ayant longtemps été conçues comme inférieures. » (p. 65) La guérisseuse Ananta, qui connait les vertus de la bevilacqua, est donc une sorte de pendant au botaniste et une figure du care. Nous aimerions aouter que se profile aussi une binarité homme/femme : botaniste découvreur et épouse secrétaire de ses fiches, botaniste rationnel et guérisseuse. L’essai insiste sur l’opposition entre les Européens blancs qui ne se mêlent pas aux coolies indiens, cultivant les jardins vivriers. Il faut alors une figure de lien, Léon amoureux de Surya, qui l’initie à la cueillette (ce qui nous rappelle une autre initiatrice, Ouma dans Le Chercheur d’or). Le végétal nourricier ou médicinal est associé au féminin (Ananta, Surya), ce qui renforce la perception d’un care au féminin. La figure du couple chez Le Clézio s’épanouit dans Raga (l’essai ne rappelle pas un autre couple illégitime mythique lié au végétal) et dans Ourania, où s’associent dans leur métissage, le savoir de Sangor, un médecin, et de sa compagne Marikouan, une Autochtone. Le jardin devient le lieu d’une revisitation dans le récit plus que de la clôture d’un espace, par ailleurs signalée davantage par les barrières mentales des Européens que par un tracé physique. Les grandes cultures n’existent pas sur Raga, ce qui encourage l’« impression d’une nature retournée à l’état sauvage ». Cette absence de clôtures conduit Le Clézio à écrire « Aujourd’hui, Raga est un jardin ». Dans Ourania la valeur sauvage d’une plante serait symbolique de liberté : « Nurhité est sauvage, on ne peut pas la planter ni la semer. Elle pousse librement, là où elle veut, sinon elle meurt » (passage cité p. 208)

Ce compte-rendu, focus sur la trentaine de pages sur 300 qui analyse la présence végétale (avec la multitude de ses usages médicinaux, culinaires et textiles – sac en vacoa) dans les récits de Le Clézio, pourrait susciter l’envie de découvrir les 27 autres récits étudiés ! Quelques amorces ? Quel lien entre le café et l’alchimie ? Quel est le don des fleurs chez Mona Thomas ? Qui écrit un manifeste des ivraies ? Et qui d’autre les nomme « vagabondes » ? Quel livre, autour des mangroves, n’entrelace pas moins de 19 voix de personnages ? Et vous, à quel roman-rhizome convoquant le végétal, pensez-vous ?

Le lecteur appréciera sans doute une inclinaison à la confiance plus il avance dans la lecture. Sont ainsi abordées des pratiques en dormance, comme le sont les graines (p 192), des modes de préservation et de résistance sans visée utopique pour ralentir la dégradation, à défaut de la stopper. Et surtout prend le pas le paradigme du faire avec plutôt que du faire, dans la production afin de respecter le cycle végétal, le tout pour restaurer une relation écouménale. Nous remarquons que la temporalité suspendue (en quarantaine), ne résiste pas à la mort, celle propre à une utopie (le village Campos) ne résiste pas à la logique d’exploitation, par voie d’expulsion (Ourania) quand celle mythique (Raga) ouvre à l’émancipation des femmes de Raga grâce à leur artisanat textile, précisément. La temporalité est toujours aux prises avec la conscience de strates et l’alternative entre disparition/survivance. Et c’est alors que la disparition fait place à que ce que nous pourrions appeler une revivance : faire revivre des « espèces disparues » (p. 197), des connaissances ancestrales (p. 212). 

Cet ouvrage, doté de son appareil critique est aussi un hymne au récit. Par des actes de lecture dans la diègèse, le carnet du botaniste (La Quarantaine), les cahiers du jeune métis Raphael Zacharie (Ourania) lus par le géographe, et plus encore par le discours de ce même Daniel Sillitoe lors de sa conférence au centre de recherche qui quitte le jargon du métier pour « raconter » (p. 182) la naissance de leur pays aux habitants présents et à qui il adresse au final son discours. Et par le lecteur des récits de Le Clézio, stimulé par le parcours d’Entre les feuilles : quel lecteur d’entre vous poursuivra ce chemin de penser en relisant autrement Angoli Mala, Voyage au pays des arbres, « Mondo » (et le jardin de Thi Chin) pour questionner les enjeux territoriaux et environnementaux ? Quel fin lecteur des récits de Le Clézio n’aurait pas envie de pister les occurrences d’une eulalie, de se prendre au jeu de piste botanique à la lettre ?

En somme, l’essai pose la littérature et ses imaginaires comme auxiliaire d’un changement de paradigme qui peut transformer notre regard sur les plantes. « Parce qu’il permet de partager une expérience sensible du végétal et de décliner les multiples rapports possibles avec les plantes, le texte littéraire offre à cet égard un plus large spectre que le discours scientifique, soumis à des exigences d’objectivité et de rigueur qui le surdéterminent. » (p. 285) Cet essai à plusieurs mains a foi dans la capacité des récits à nourrir et modifier nos imaginaires, pour que nos représentations et notre perception du végétal se métamorphosent, et vivent leur agentivité. Ainsi l’ouvrage consacre-t-il le récit comme possible ensemencement.

Isabelle Roussel-Gillet, 11 juillet 2024

Identité nomade, par Marina Salles

 IDENTITÉ NOMADE, Robert Laffont, 2024, 136 pages.  

Jean-Marie Le Clézio a souvent affirmé écrire « pour « tenter de répondre à la question « Qui suis-je ou plutôt que suis-je ?[1] » Son dernier ouvrage, Identité nomade, n’apporte pas la réponse, car l’auteur y déclare : « Encore aujourd’hui, je ne sais pas qui je suis » (42), ce qui promet de nouveaux livres… Et d’ajouter : « Je ne sais pas si j’appartiens à la culture française » : une phrase qui n’est pas l’expression d’un rejet mais la mise en cause de la notion d’appartenance et la reconnaissance du caractère « composite » de la culture française. 

Cet ouvrage annoncé comme une autobiographie avant sa publication défie de fait les conventions génériques. Autobiographie, certes, mais littéraire, intellectuelle et spirituelle, J.-M.G. Le Clézio ne retenant de sa vie que ce qui a développé sa sensibilité aux malheurs des plus faibles – une enfance dans la guerre –, forgé cette « identité nomade » et influencé son écriture. Présente dans l’œuvre dès le début – Adam Pollo, héros du Procès-verbal redoutait déjà le « satané facteur un » (1963, 37) –, la problématique de l’identité est ici reliée très explicitement à l’itinéraire personnel de l’écrivain, à certains épisodes de sa « vie aventureuse malgré [lui] » (41). Reconnaissant avoir « louvoyé » sur cette question, il affirme ne vouloir « renoncer à aucune de ses identités[2] » (Le point, 2024) et se décrit en « homme mêlé » (Montaigne) dont l’identité plurielle, un mot préféré à hybride, s’est construite à partir d’une double origine – un père mauricien, donc anglais, une mère française –, enrichie de l’apport de ses voyages, rencontres et lectures. Partageant avec Jemia, son épouse Sarhaouia également « née du voyage, de la transplantation[3] », la conviction que « le monde était leur maison et qu’[ils allaient] assez librement changer de résidence, au gré des situations, en s’adaptant[4] », il en tire la forte leçon de vie du livre : « Il faut bouger pour apprendre » (41), la seconde, inspirée de Shakespeare, étant d’être « fidèle à  [soi]-même » (132).  

Après Chanson bretonne qui décrivait son attachement à la terre originelle de ses ancêtres, après son hommage à la Chine et à la poésie Tang dans Le Flot de la poésie continuera de couler, Jean-Marie Le Clézio met l’accent sur la part africaine de son identité : les racines mauriciennes, le voyage et le séjour au Nigéria, la rencontre avec Jemia, les liens avec le Maroc, « pays multiculturel, multilinguistique » (125), terre de « magie » (52). Ce continent africain, découvert lors du voyage initiatique au Nigéria à la rencontre de son père en 1948, est apparu aux yeux de l’enfant meurtri par les années de guerre une terre d’abondance, de liberté, de joie de vivre au sein d’une nature généreuse, en contraste avec la France détruite, fermée, appauvrie qu’il avait quittée en pensant ne pas revenir.       

Le livre ayant pris corps à l’occasion de la première Foire du Livre africain de Marrakech (FLAM) J.M.G. Le Clézio rend hommage à cette « ville d’esprit » (59), à l’écrivain et artiste Mahi Binebine qui affirme « la nécessité de nous rencontrer entre voisins « (105) et qui agit au sein du centre culturel, Les Étoiles de Jemaâ-el-Fna cité en exergue, pour offrir aux enfants abandonnés de cette ville un lieu d’échange et d’expression personnelle. Malgré la coupure géographique et historique opérée par le désert et la colonisation, la culture marocaine est très étroitement reliée à l’histoire du continent africain par le mouvement de résistance à la colonisation qu’a incarné le Cheik Ma el Aïnine, homme de culture et de sagesse pour lequel J.-M.G. Le Clézio redit sa « vénération ». (56) 

Le second thème essentiel de l’ouvrage est la réflexion sur les enjeux et les pouvoirs de la littérature, les deux thématiques étant indissociables : la vie alimente l’œuvre  de l’écrivain qui tend à « remettre sans cesse en scène ce qui [le] hante, ce qui [l’] a motivé » (35) et l’écriture infléchit l’orientation de la vie : le voyage à bord du Nigerstrom inspire à l’enfant de sept ans un premier roman Oradi noir qui a facilité « « le passage de l’Europe vers l’Afrique » ; au  « difficile[5] » retour en France, c’est dans l’écriture qu’il recouvre sa liberté. « Je ne voyage pas pour écrire ce que j’écris, j’écris pour voyager » (51), déclare Jean-Marie Le Clézio qui a toujours relié le voyage et l’écriture comme cheminement vers l’autre.

La question centrale, depuis longtemps posée et jamais résolue : « Que peut la littérature ? » est abordée de manière dialogique. L’auteur confronte les écrivains qui, constatant l’impuissance des livres et de l’art en général à empêcher les fléaux de l’humanité – esclavage, colonisation, guerres, violences, saccages écologiques –, leur dénient, tel Oscar Wilde, toute utilité, et celles et ceux qui leur accordent la responsabilité et le pouvoir de témoigner d’une époque, de révéler la complexité du réel, comme le fit Stig Dagerman dans Automne allemand, récit de son voyage dans le Berlin d’après-guerre. 

Le texte fait un point sur les rapports de J._M.G. Le Clézio avec la littérature dite « engagée ». Représentée aux États-Unis par Steinbeck, Caldwell, par Sartre et Camus en France, elle déçoit les attentes, en partie en raison de sa frilosité à se démarquer de certaines idéologies. Dans les années cinquante, elle fait donc place aux recherches expérimentales du Nouveau Roman avec lequel l’auteur d’Identité nomade se montre moins sévère qu’il n’a pu l’être, lui concédant d’avoir favorisé « le voyage vertical » dans « notre monde intérieur » (86), en référence sans doute à la « sous-conversation » de Nathalie Sarraute, une écrivaine qu’il admire. Il note que l’engagement a pris des formes nouvelles, s’est déplacé en Afrique, en Amérique du Sud, au Mexique, en Asie… dans ces territoires où il n’est pas possible de s’abstraire du réel et où les conditions pour « le voyage intérieur » ne sont pas réunies. Et J.-M.G. Le Clézio de citer et de mettre en lumière ces écrivains, ces œuvres du monde entier engagés – en des formes variables selon le contexte historique – dans un même « combat » contre les injustices et les oppressions. Avec une mention particulière pour les auteurs du Maghreb, de l’Afrique, et pour les écrivaines qui ont conquis désormais le droit de produire une littérature audacieuse, affranchie des conventions morales liées au genre. L’auteur apprécie cette « littérature du témoignage, de combat, de revendication » (102) à portée universelle, car loin du pessimisme d’Oscar Wilde, il prête à la littérature de « notre époque actuelle semée d’égoïsmes et de violences » (81), diverses fonctions : répondre à « ce besoin de consolation » dont parlait Stig Dagerman en « incarnant les rêves d’enfance, l’amour, l’espoir d’un monde meilleur, le goût de la beauté « ( 67) ; favoriser « la connaissance et la reconnaissance » des individus et des cultures par-delà les frontières ; « changer le regard qu’on a sur le monde pour nous inciter à voir ce que nous ignorons, ce que nous dédaignons » (115). Il réaffirme dans ce livre les enjeux de son écriture : « agir » à sa manière, mettre ses mots au service d’une « cause juste : par exemple en faveur des déshérités que sont les personnes âgées et les enfants dans le cas des guerres, ou en faveur de la flore et la faune qui sont notre maison » (p.113). S’appuyant sur quelques « utopies » concrètes : la Fondation pour l’Interculturel et la Paix (FIP) à Maurice, les étoiles de Jemaâ-el-Fna à Marrakech, l’université populaire de Rodrigues, il réitère sa foi dans la culture pour combattre le racisme et la xénophobie, contrer la menace des armes et donner une chance aux indésirables de faire entendre leur voix. 

Complément de l’œuvre, synthèse dense et lumineuse d’une conception de la vie et de la littérature faite d’attention à l’autre, de générosité, d’indignation contre tout ce qui dégrade les hommes – surtout les plus vulnérables  – et la nature, Identité nomade, au titre paradoxal, est un livre précieux qui donne à entendre la voix essentielle de J.-M.G. Le Clézio en ces temps de nationalismes, de communautarismes et d’intolérance exacerbés.  

                                                                                        Marina Salles   


[1] Cf. son entretien avec François Busnel : « j’écris pour savoir qui je suis », Lire n°370, 2008, p. 48-49. 

[2]  Le prix Nobel publie Identité nomade, Propos recueillis par Valérie Marin La Meslée, Le Point 2684, 11 janvier 2024, p. 75

[3]  Ibid. p.76

[4] Ibid. 

[5] J.M.G. Le Clézio témoigne de ces difficultés dans son entretien « Je viens d’une famille de grands voyageurs » donné au Monde du 4-5 février 2024, p. 25. 

Préface de J.M.G. Le Clézio, Portrait du visionnaire Louis Riel

J.M.G. Le Clézio signe la préface du livre de Jean Meyer sur Louis Riel. Prophète du Nouveau Monde (Gallimard, 2024), traduit de l’espagnol (Mexique) par Albert Bensoussan.

Héros, traître, meurtrier, hérétique, martyr, fou, noble sauvage, agent de l’impérialisme yankee, défenseur des droits des Métis et des Indiens, père de la province du Manitoba et même l’un des fondateurs de la Confédération canadienne. Louis Riel était un chef du peuple métis – groupe ethnique d’origine autochtone et européenne – qui a dirigé deux mouvements de résistance contre le gouvernement canadien. Le premier (1869-1870) aboutit à la création de la province du Manitoba dans l’Ouest canadien et le second (1885) mène à un affrontement militaire, seule guerre ayant eu lieu jusqu’à ce jour sur le sol canadien.

Ce conflit, encouragé par sir John Macdonald, Premier ministre du Canada, en plus de coûter la vie à Louis Riel, valut aux Indiens leur enfermement – aux conséquences encore aujourd’hui tragiques – dans des réserves pendant plus de soixante ans. Aucun autre personnage de l’histoire canadienne n’a suscité autant d’écrits que Louis Riel.

Fruit de cinquante années de recherches, l’ouvrage de Jean Meyer consacre la vie de cet homme que J. M. G. Le Clézio nomme « le visionnaire » dans sa préface, celui qui voulait faire du Canada un espace de communion pour les nations.

Préface à feuilleter ici

Lien vers Fabula

Hommage à Emile Kerjean

C’est avec une grande tristesse que nous apprenons le décès de notre ami Emile Kerjean, que nous avions encore rencontré lors de notre rendez-vous à Quimper en 2022. 

Chacune et chacun d’entre nous avait pu alors apprécier son enthousiasme, son comportement chaleureux, sa passion pour la Bretagne, la langue bretonne et l’œuvre de Jean-Marie Le Clézio, particulièrement sensible au cours de la table ronde.

Emile Kerjean était l’auteur de deux livres sur J.M.G. Le Clézio, Le Clézio et la Bretagne et Le Clézio est univers aux éditions Skol Vreizh, une maison d’édition située à Morlaix, dont un compte rendu figure dans le Cahier 8Le Clézio et la philosophie. Il avait rédigé pour le Dictionnaire J.M.G. Le Clézio  deux articles très précis et documentés sur « La Bataille de Saint-Aubin du Cormier » et sur la « langue bretonne ». Et à l’occasion de la sortie de Chanson bretonne de Le Clézio, Emile avait réalisé un pèlerinage sur les divers lieux cités dans le livre, dont il avait rapporté un reportage très vivant et bien illustré qu’il nous a remis.

Depuis qu’il était à la retraite, nous rapporte son ami Tanguy Dohollau, il multipliait des voyages, en particulier à l’île Maurice et à Rodrigues, sur les traces des livres de Le Clézio. Il prenait à chaque fois des notes de ses découvertes dans l’île.  Il en fera une publication à compte d’auteur, Sous le charme de Rodrigues, dans les pas de Le Clézio et d’autres compagnons de route .

Nous adressons nos pensées à sa famille et nous gardons précieusement ces témoignages de son engagement au service de l’oeuvre de Jean-Marie Le Clézio. 

Marina Salles et Tanguy Dohollau auxquels se joignent le bureau et les membres de l’Association des Lecteurs de J.-M.G. Le Clézio

Renouer avec la terre extatique, Justine Feyereisen

Ouvrant un nouveau champ critique à la croisée de la linguistique textuelle et de la philosophie, Renouer avec la terre extatique : Essai de sensopoétique chez J.M.G. Le Clézio de Justine Feyereisen (Classiques Garnier, 2024) propose de raviver le pouvoir incantatoire de la littérature par une poétique des sens – une sensopoétique – depuis l’oeuvre intermédiale de J.M.G. Le Clézio.

Accompagné d’une préface de Dénètem Touam Bona

Quatrième de couverture : Comment écrire le vivant par-delà l’Occident moderne ? Comment retisser des liens entre sensations, éthique et action ? Comment témoigner des trajectoires de vies indésirables ? Comment rendre sensible ? Ouvrant un nouveau champ critique à la croisée de la linguistique textuelle et de la philosophie, cet essai propose de raviver le pouvoir incantatoire de la littérature par une poétique des sens – une sensopoétique – depuis l’œuvre de J.M.G. Le Clézio. Initiant à l’extase matérialiste, les sens y agissent comme un prisme « dé-scriptif » des mouvements, des formes et des idées de l’époque contemporaine en vue d’une pensée poétique concrète, chargée de la sédimentation du temps et de son limon d’espoir.

Justine Feyereisen est docteure en langue et littérature françaises de l’université libre de Bruxelles et de l’université de Grenoble. Elle a mené des projets de recherche à l’université de Berkeley, l’université d’Oxford et l’université de Gand. Autrice d’une trentaine d’articles, elle est aussi présidente de l’Association des lecteurs de Le Clézio et co-rédactrice en chef des Cahiers Le Clézio.

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Table des matières

Annonce sur Fabula

Le Clézio à Maurice, un plaidoyer pour la lecture

Lire, une anthologie internationale est un recueil de 18 textes réunis par Issa Asgarally comme autant de plaidoyers en faveur de la lecture, signés Ananda Devi, Priya Hein, Sudhir Hazareesingh, Tahar Ben Jelloun, entre autres. Le texte de J.M.G. Le Clézio raconte son « premier souvenir de liberté (…) dans le couloir de l’appartement de ma grand-mère, lorsque j’ai découvert, à l’âge de huit ou neuf ans, sur le rayon le plus bas de sa bibliothèque, une collection de livres anciens, reliés en cuir marronnasse, dix-sept volumes du Dictionnaire de la Conversation ».

Une lecture scénique de passages des textes extraits de l’anthologie, par de talentueux comédiens dont Vinesha Bissoondeeal, Jérôme & Géraldine Boulle, Jean-Claude Catheya et Sharvesh Kemraz, a eu lieu à Maurice le 26 mars 2024. Organisée par Issa Asgarally, cette performance s’est faite en présence de J.M.G Le Clézio.

Dans l’île pour une série d’activités, à chaque prise de parole, Le Clézio défend la nécessité de lire et d’en donner le goût à la jeunesse. Incitant les parents à adopter des « techniques de combat » contre « la violence de l’instant » déversée par le flot ininterrompu d’images en ligne qui font écran à la réflexion. L’écrivain a raconté qu’à sa première visite à Maurice « quand j’ai vu des jeunes qui faisaient la queue devant la bibliothèque Carnegie, j’ai été absolument bouleversé. Je ne me souviens pas des paysages, je ne me souviens pas des plages, je ne me souviens pas des scènes pittoresques et exotiques mais je me souviens de la bibliothèque Carnegie ». Il a également partagé qu’il avait été « ému aux larmes » par un enfant mauricien de sept-huit ans qui « serrait le livre qu’on lui avait donné comme si c’était un trésor. Je me suis dit, voilà un livre qui va vivre ». Il recommande des auteurs, tous pays, toutes époques, tous genres confondus, à la recherche de « la lumière de la lucidité qui brille entre les lignes ». Dans son texte Se connaître, se reconnaître, il affirme « que grâce à la littérature, nous avons des voix multiples pour lutter contre ceux qui malgré les enseignements de l’Histoire tentent aujourd’hui de revêtir les loques trouées du racisme et de la xénophobie ».

En outre, J.M.G. Le Clézio espère, « comme tout le monde, que Maurice puisse exercer pleinement sa souveraineté sur l’archipel des Chagos et que les enfants puissent faire le voyage facilement pour aller voir le pays de leurs ancêtres ». Souhait formulé, samedi, lors d’une rencontre avec une quarantaine d’enfants dont vingt-cinq Chagossiens, au Centre chagossien, à Pointe-aux-Sables, en présence de leurs proches, d’Olivier Bancoult, leader du Groupe Réfugiés Chagos et du couple Asgarally. Une initiative de la Formation pour l’Interculturel et la Paix (FIP). Parlant de la portée des livres, il dit : « J’écris des livres. C’est comme la musique. Cela fait partie de la culture ». Jean-Marie Le Clézio leur a partagé son amour pour les histoires qui mettent en scène les enfants parce que, poursuit-il, « ils ont quelque chose à donner. Ils ont une vérité très forte. Ils ont la force de faire comprendre ce que les adultes ne sont pas capables de dire parfois. Je suis content d’être là, avec vous. J’espère vous revoir dans votre présentation future ».

Oeuvres citées par J.M.G. Le Clézio :

 La Ballade de la geôle de Reading d’Oscar Wilde

 Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde

 Rhapsodie de l’ère littéraire de Hu Shi

 Notre besoin de consolation est impossible à rassasier de Stig Dagerman

 Automne allemand de Stig Dagerman

 Les 144 quatrains d’Omar Khayyam

 Poèmes de Djalal ad-Din Rumi

 Poèmes du moine japonais Ryôkan

 Textes de Malcolm de Chazal

 La route de sampo de Hwang Sok-yong

 Monsieur Han de Hwang Sok-yong

 La Vie rêvée des plantes de Lee Seung-U

 Textes de Mo Yan, prix Nobel de littérature 2012

 Œuvre d’Aimé Césaire

 Œuvre de Frantz Fanon

 Œuvre de Maryse Condé

 Le venin du papillon d’Anna Moï

 Textes du Mexicain Juan Rulfo

 Romans du péruvien José Maria Alguedas

 Textes de la calédonienne Déwé Gorodé

 Œuvre de Marcel Cabon

 Pleure, ô pays bien-aimé d’Alan Paton

 En attendant le vote des bêtes sauvages d’Ahmadou Kourouma

 Textes d’Abdourahman Waberi

 Œuvre de Ken Saro-Wiwa

 Al Capone le Malien de Sami Tchak

 Le silence des dieux de Yahia Belaskri

 Œuvre de la Sénégalaise Aminata Sow Fall

 Textes de la Nigériane Chimamanda Ngozi Adiche

 Textes de la Camerounaise Leonora Miano

 Textes de la Kenyane Grace Ogot

Discours de J.M.G. Le Clézio à l’occasion du lancement de Lire, une anthologie internationale : disponible ici

A propos de la visite au Centre chagossien

Article de L’Express Mu

Article du Mauricien

The Ecological Vision of J.M.G. Le Clézio

Bronwen Martin publie chez Peter Lang un nouvel essai intitulé « The Ecological Vision of J.M.G. Le Clézio ».

Quatrième de couverture : This book presents a close reading of four texts by Jean-Marie Gustave Le Clézio, guided by Gilles Deleuze’s concept of metamorphosis, «becoming-animal». In his critique of anthropocentrism and Western reason, Le Clézio dismantles the opposition between mind and matter, language and life, developing Henri Bergson’s notion of the living, «le vivant». A philosophical and ecological role is accorded poetic, sensorial expression, which is the means of communication between the multiple forms of life. For instance, the protagonist may become a bird: in their flight they form intercultural relations calling to mind the texts of Édouard Glissant and Patrick Chamoiseau. Importantly, Le Clézio never divorces the poetic from the socio-political. The text Bitna, sous le ciel de Séoul, for example, unfolds against the background of the war between North and South Korea. Through the figure of the war-traumatised homeless Algerian, Béchir, The Story of Dodo emerges as one of the most powerful critics of nationalism and capitalism ever written.

Lien vers l’éditeur

Vanuatu

Dans l’archipel lointain du Vanuatu, les hommes ont inventé le saut du Gol, un rituel décrit sans exotisme par le prix Nobel de littérature dans « Raga ». Un récit de mythes et légendes. Sur ce territoire parmi les plus inaccessibles du monde, Le Clézio élargit les horizons géographiques et culturels.

Regardez le reportage sur Arte