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Jean-Marie Le Clézio, le magicien celte

« Chanson bretonne », suivi de « L’Enfant et la guerre », les titres de son dernier livre s’accordent avec l’actualité de braise des lecteurs bretons. C’est là le signe des très grands écrivains. Prix Nobel de littérature en 2008, Jean-Marie Gustave Le Clézio y parle de son enfance, du pays Bigouden, de l’autonomie, de la langue bretonne.

Il y a du glaneur et du griot, chez Jean-Marie Gustave Le Clézio, dont l’écriture retentit avec un écho chamanique. Son premier texte, raconté par une mouette et écrit alors qu’il avait six ou sept ans, témoignait déjà de son souci d’ignorer les frontières. Celles qui séparent les hommes des animaux et de la nature, et le réel de l’imaginaire. Britannique par son père, médecin de brousse au Nigeria, et Français par son éducation, il vit aujourd’hui entre Albuquerque, aux États-Unis, pas très loin du Mexique, et Douarnenez (29). « J’ai vécu un peu partout, je suis étranger à tout, mais si je dois choisir un pays, une racine, ou plutôt un rhizome, c’est la Bretagne, une terre infinie et sans limite, qui ouvre sur l’imaginaire », confiait-il à La Grande Librairie, le 11 mars dernier.

Aïeul morbihannais et bataille de Valmy

De son aïeul, Alexis François, le Morbihannais qui s’était illustré à la bataille de Valmy, avant de vendre une maison vide, « des haillons et un fatras », et d’embarquer vers l’Océan Indien avec femme et enfant, ainsi que deux esclaves achetés sur le port de Lorient, il a gardé la haute taille, le goût et la soif des voyages. Mais ce géant blond, entré à 23 ans par la porte étroite de la littérature avec « Le procès-verbal », Prix Renaudot 1963, n’est pas devenu le beau gosse des belles lettres, ni le chroniqueur de ses horizons exotiques. Comme si l’écrivain se sentait redevable de la Malgache et du Chinois, acquis lors du départ de son ancêtre et libérés par lui à son arrivée à l’île Maurice. Seulement attentif à donner la parole aux oubliés, à ceux « qui sont de l’autre côté du langage », et du pouvoir, il va tracer sa route sur des chemins de traverse avec une exigence admirable.

Trois ans dans les forêts du Panama

Cette haute ambition et la rigueur de ses choix sont démenties par une voix de velours, et une empathie avec la face cachée du monde qui le conduiront jusqu’au fond des forêts primaires du Panama. À la fin des années 1960, il vit ainsi, durant trois ans, aux côtés des « peuples sans écriture », et en revient avec une admiration pour « le communisme primordial des Amérindiens ». Il semble également partager leur « profond dégoût de l’autorité », et se montre un écologiste avant la lettre, frugal et respectueux tout simplement. Mais surtout à l’unisson et à l’écoute des rêves et des mythes qui nourrissent son œuvre.

« La langue des rêves est une langue intérieure que je comprends sans l’analyser, mis à part des phrases qui reviennent et s’imposent sans que je puisse savoir pourquoi, comme celle que j’ai écrite en breton, Steir ar soren (Rivière des songes) », dit-il, par mail, au Télégramme, confinement oblige. « Dans une expérience que j’ai faite jadis au Panama, un rêve éveillé sous l’emprise du datura, je me souviens avoir prononcé des mots dans la langue Embera pour décrire ce que je voyais, comme l’arbre aux yeux ou la maison de l’araignée. Cela ne m’est plus arrivé depuis, peut-être parce que je remplace les rêves par de l’écriture ».

Krampouezh et yod

Pudique à l’extrême, Le Clézio aime plus parler des autres que de lui-même, mais, dans son dernier livre, « Chanson bretonne », il se dévoile un peu plus. Entre « la Maurice de mon père » et « ce pays bigouden que ma mère aimait par-dessus tout », l’écrivain a choisi la Bretagne. « C’est le pays qui m’a apporté le plus d’émotions », écrit-il d’emblée. L’Odet, qui lui « paraissait grand comme l’Amazone », les eaux froides de la Laïta, tout lui parle.

Dans son souvenir, les « krampouezh de froment épaisses et lourdes », le yod (bouillie d’avoine) ont gardé leur saveur, et les peulven, les pierres levées, leur mystère. Il en fait le récit dépourvu de nostalgie, qui « n’est pas un sentiment honorable », note-t-il, car « elle renvoie au passé, alors que le présent est la seule vérité ».

On retrouve cette absence de complaisance dans son constat linguistique. « La vraie cause de l’abandon de la langue bretonne, ce sont les Bretons ». Il rêve, pour la Bretagne, d’une « vraie autonomie fiscale et économique », à défaut d’un retour à l’indépendance. « Il ne s’agit pas de nationalisme », précise-t-il cependant, et moins encore de valoriser « une sorte de privilège du sang ».

Dans un autre de ses livres, « Ritournelle de la faim », il assimile les appels à la bretonnité des « celtomanes » aux racistes et aux suprémacistes de tous poils. Il y évoque, de façon détournée, son enfance à Nice, la « ville d’opérette », où il est né en pleine guerre, comme on dirait en pleine mer, pour décrire le désarroi du petit Niçois. La faim. Elle revient dans « L’enfant et la guerre », l’autre « conte » qui fait suite à « Chanson bretonne », dont la publication simultanée et prémonitoire résonne de façon étrange aujourd’hui.

« Je ne me sens pas autorisé à donner mes impressions sur la crise sanitaire que nous traversons, alors que médecins, infirmiers et aides-soignants sont en première ligne pour faire face à l’épidémie », confie Le Clézio. À bientôt 80 ans, le Prix Nobel de littérature 2008 ne vit pas en vase clos, même si Ar kleuziou, d’où vient son nom, signifie hauts talus en breton. Mais ne comptez pas sur lui pour jouer les bardes imprécateurs.

« Chanson bretonne », suivi de « L’enfant et la guerre », J.-M. G. Le Clézio, éd. Gallimard

Article de Thierry Dussard dans le Télégramme du 29 mars 2020 : lien vers l’article

« Je vais essayer de te dire comment c’était d’être une femme quand j’avais vingt ans… » – J.M.G. Le Clézio

Une lettre de J.M.G. Le Clézio à Itzi, qui aura vingt ans en 2040, publiée par Augustin Trapenard sur FranceInter le 27 mars 2020 : lien vers l’article

Nice, le 27 mars 2020

You’ve come a long way baby (Réclame pour les cigarettes Virginia slim)

« Pour Itzi, qui aura vingt ans en 2040,

Je vais essayer de te dire comment c’était d’être une femme quand j’avais vingt ans.

Tomber enceinte en dehors du mariage, à cette époque, c’était entrer dans un cauchemar. La contraception n’existait pas vraiment. Pour une fille il était absolument impensable d’entrer dans une pharmacie et de demander des préservatifs. Elle pouvait (avec l’accord de ses parents) se faire placer un stérilet, mais quels parents auraient accepté cette honte ? Il existait, en revanche – et tout le monde le savait, même si personne n’en parlait ouvertement – des spécialistes, des faiseuses d’anges (c’était le joli surnom sinistre que ces femmes portaient).

Être une femme libre de son corps à cette époque était très compliqué. Mais il y avait beaucoup d’autres problèmes. Je ne vais pas te parler des brutalités que les hommes faisaient parfois subir aux filles – en toute impunité, parce que, sous la pression morale des familles, il était impensable qu’une fille portât plainte pour des attouchements ou viols. Je me contenterai de mentionner le climat d’extrême prédation qui régnait à peu près partout, par exemple a la Fac de Lettres, où un des profs (un docteur en littérature américaine) s’attaquait systématiquement à toutes les étudiantes, les convoquant dans son bureau sans témoins pour essayer d’obtenir, en échange d’une bonne note aux examens, des faveurs qu’elles essayaient de refuser. Cet homme était une des stars de l’Université, bardé de décorations et encensé par l’Académie. C’était aussi un salopard, mais personne n’en parlait. Apprendre à être une femme, en ce temps-là, c’était apprendre à vivre dangereusement. En silence. Pourtant, l’amour existait, et dans l’innocence et l’expérience, la violence de la vie trouvait bien sa rédemption.

À l’heure où je t’écris cette lettre – alors que tu commences à peine à vivre – les femmes ont décidé de ne plus se soumettre à la violence de certains hommes. Elles ont décidé de se battre, de faire savoir, de résister. Tu devras les admirer pour cela et opposer un sarcasme à la prétendue indignation de tous ceux qui veulent voir dans ce combat un ressaut de puritanisme et une moralisation militante, voire une manœuvre pour prendre le pouvoir. Ce combat n’est pas facile : l’on discute beaucoup sur la différence qu’il y aurait entre l’artiste et la vie. L’art aurait le privilège de se situer dans les limbes, au-dessus de toute morale. Par son talent, l’artiste transcenderait les turpitudes de sa conduite réelle. J’espère que dans le temps où tu vivras, loin de moi, loin de notre époque un peu folle, on ne se posera plus cette question – et que seront définitivement renvoyés dans la nuit des mythes, la Barbe-Bleue et Agostino Tassi, l’agresseur d’Artémisia Gentileschi – et bien sur, Matzneff et Polanski. »

J.M.G. Le Clézio

Quatre émissions de « La Compagnie des Œuvres » sur France Culture consacrées à l’oeuvre de J.M.G. Le Clézio

Quatre émissions de « La Compagnie des Œuvres » sur France Culture consacrées à l’oeuvre de J.M.G. Le Clézio.

Le découpage de la semaine est le suivant :

Lundi 16 septembre, 10h-11h : Vie secrète
1ère partie : Michèle Gazier, écrivain et critique littéraire
2nde partie : Aliette Armel, romancière, essayiste et critique littéraire, auteure de Le Clézio, l’homme du secret (Le passeur éditeur, 2019). https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-oeuvres/j-m-g-le-clezio-14-vie-secrete?fbclid=IwAR3Rkb_ASoAt145Lfu9b_4bCHDqxSav1QOncfAU51n0gW9LQflAAKvaKzGw

Mardi 17 septembre, 10h-11h : Une œuvre plurielle
Avec : Isabelle Roussel-Gillet, maître de conférences HDR en littérature à l’Université d’Artois, auteure notamment de J.M.G. Le Clézio, écrivain de l’incertitude (Ellipses, 2011) et de J.-M.G. Le Clézio, l’œuvre féconde (Passage(s), 2016). https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-oeuvres/j-m-g-le-clezio-24-une-oeuvre-plurielle

Et la chronique d’Etienne de Montety, écrivain et directeur du Figaro littéraire

Mercredi 18 septembre, 10h-11h : Absolument moderne
Avec : Marina Salles, docteur ès Lettres de l’Université de Poitiers, auteure de Le Clézio peintre de la vie moderne (L’Harmattan, 2007) et de Le Clézio, notre contemporain (Presses universitaires de Rennes, 2006). https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-oeuvres/j-m-g-le-clezio-34-absolument-moderne

Et la chronique d’Alexis Brocas, écrivain et critique au Nouveau Magazine littéraire

Jeudi 19 septembre, 10h-11h: Dans la forêt des paradoxes de Le Clézio
Avec : Bruno Thibault, professeur de littérature française à l’Université du Delaware (Etats-Unis), auteur de Le Clézio et la métaphore exotique (Rodopi, 2009) et de J.-M.G. Le Clézio. Dans la forêt des paradoxes (L’Harmattan, 2012). https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-oeuvres/j-m-g-le-clezio-44-dans-la-foret-des-paradoxes-de-le-clezio

Et la chronique de Nathalie Froloff, professeure en classes préparatoires au lycée Louis le Grand à Paris.

https://www.franceculture.fr/emiss…/la-compagnie-des-auteurs

Forum des Associations, La Marie du 5è, Paris, 7 septembre

« RENDEZ-VOUS !

Nous vous invitons à nous rencontrer au forum des associations, qui aura lieu à la Mairie du 5e arrondissement de Paris le samedi 7 septembre 2019 de 11h à 18h.
Hyeli Kim présentera notre association (et ses nombreuses activités), dont le siège administratif se trouve dans le quartier.  C’est aussi l’occasion d’acquérir le dernier numéro des Cahiers J.-M.G. Le Clézio (CORPS).
Au plaisir de vous y rencontrer !
Lieu : 21 Place du Panthéon, 75005 Paris

Festival Hispanoamericano de Escritores à Los Llanos de Aridane (Espagne)

Du 10 au 14 septembre 2019 se tiendra le Festival Hispanoamericano de Escritores à Los Llanos de Aridane (Espagne). Cette seconde édition compte notamment sur la présence de deux prix Nobel de littérature, Mario Vargas Llosa et Jean-Marie Gustave Le Clézio, ainsi que celle de Sergio Ramírez, prix Cervantes.

https://hispanoamericanodeescritores.com/el-festival/

Entretien exclusif J.M.G. Le Clézio et Issa Asgarally dans l’émission « Passerelles »

Le 4 juillet 2019. J.M.G. Le Clézio était venu présider le Prix Jean-Fanchette 2019 dont Issa Asgarally​ est le coordinateur. L’écrivain parle de ses trois livres parus depuis 2017: « Alma », « Bitna, sous le ciel de Séoul » et « Quinze causeries en Chine ». Sans oublier son article publié dans Libération du 13 mars 2019: « Greta Thunberg, la gravité de la Terre ».

Rencontres in situ, 2019

Toruń, 7 et 8 juin 2019:

Après Nice, Vannes, Maurice, Albuquerque, Bordeaux, les rencontres bisannuelles de l’Association des lecteurs de J.-M.G. Le Clézio ont eu lieu les 7 et 8 juin 2019 en Pologne, à Toruń, la ville natale de Copernic.

Le samedi 7 juin, une journée d’étude intitulée : « Le Clézio, la tête dans les étoiles ? » s’est tenue à l’université Nicolas Copernic de Toruń où enseigne  Natalia Nielipowicz qui avait pensé à tout pour nous réserver le meilleur accueil. Cliquez ici pour lire le programme de la journée.

Certains des membres inscrits n’ayant pu se déplacer ou arriver à temps, pour des raisons indépendantes de leur volonté, leurs communications ont été lues ou différées.

L’Assemblée générale s’est déroulée dans une salle de l’hôtel où nous étions tous regroupés.

Cahiers 12

À cette occasion, chaque membre présent a découvert le beau numéro 12 des Cahiers Le Clézio : Corps, coordonné par Justine Feyereisen et Paul Dirkx.

Un repas convivial nous a réunis le soir au restaurant LOFT 79.

Le dimanche fut consacré à des lectures de textes de l’auteur sur la thématique du ciel, dans un petit jardin ou sur une place de la vieille ville, et à la visite du Musée ethnographique, de la  Maison de Copernic transformée en musée.

Pour lire les impressions personnelles de certain.es adhérent.es et voir les photos des moments essentiels, cliquez ici (il faut être membre de l’Association afin d’y accéder)

Nouvelle Publication: Colin, Claire. « Sur les traces effacées du voyageur Jean-Marie Gustave Le Clézio, par Michèle Gazier ».

Un article sur Le Clézio de la main de Claire Colin vient d’être publié dans les actes du colloque consacré aux écrits de Michèle Gazier qui sont publiés en ligne ici, dans la revue « L’entre-deux » : https://lentre-deux.com/index.php?b=numeros
Le lien vers l’article est : https://lentre-deux.com/index.php?b=68

Colin, Claire. « Sur les traces effacées du voyageur Jean-Marie Gustave Le Clézio, par Michèle Gazier ». « L’Entre-Deux », Numéro 5. Parution: juin 2019. https://lentre-deux.com/index.php?b=68&fbclid=IwAR3qhAFsClMbzrDYoLpYs6kqJMiYwpyeqgpSsGe9zrzUwH12Ku8xAWFw2y0