Confiné à Nice, le prix Nobel J.M.G Le Clézio évoque l’actualité et son dernier livre, fait de souvenirs d’enfance et qui est aussi un chant d’amour à la Bretagne, terre de ses ancêtres et où il possède une maison, non loin de Douarnenez (Finistère).
Le Prix Nobel J.M.G Le Clézio, tout juste 80 ans, revient sur les terres de son enfance, une Bretagne en partie disparue à laquelle il est viscéralement attaché, et Nice qui l’a vu grandir.
De quelle manière la Bretagne, où vous passiez vos vacances enfant, vous a-t-elle façonné ?
Pour moi qui appartiens à une longue lignée d’émigrants, elle m’a donné le sentiment d’une « terre natale », un lieu où me ressourcer et inventer une appartenance. Je ne l’ai jamais ressentie comme un lieu de vacances. C’était un pays très démuni, à l’abandon, loin de l’image édénique qu’en donnent les dépliants.
Vous déplorez la perte de la langue bretonne, mais rendez hommage aux Bretons ?
Cela m’a frappé quand j’y suis retourné adulte, comme une tragédie. Incompréhensible qu’en si peu de temps, la langue avec son héritage culturel ait disparu. C’est imputable à l’État, qui a multiplié les actions de destruction. Mais aussi aux Bretons qui ont refusé de la parler à leurs enfants afin de les prémunir contre la discrimination dont ils avaient été victimes. Elle est menacée, l’action des écoles Diwan et des associations est une bonne chose. La jeune génération sera déterminante pour la survie de la langue et de la culture. Elle aura aussi en charge la survie économique, afin que la région ne devienne pas un désert de résidences de vacances.
Vous racontez votre enfance à Nice, pendant la guerre. Quelle empreinte a-t-elle laissée sur vous ?
J’en ai gardé ce sentiment particulier d’incertitude, que rien n’est assuré, et une sensibilité à l’injustice de la guerre pour les enfants, alors que, partout dans le monde, à l’heure que nous parlons, les armées bombardent les civils.
Comment vivez-vous la crise actuelle ?
Je retrouve certaines sensations de ma petite enfance, lorsque nous vivions confinés à Roquebillière (Alpes-Maritimes) avec les seules sorties du matin pour accompagner ma grand-mère aux courses. Pour le confinement actuel, il y a l’espoir que cela finira, et que chacun y participe. En temps de guerre, le danger est bien différent, et l’espoir est mauvais. Je vis assez bien ce temps de restriction puisque je suis avec ma femme et mes filles, que je peux écrire…
L’affaire Matzneff a secoué la France. Vous quittez le jury du Renaudot, qui l’a primé ?
Le critique Georges Steiner a bien parlé de ce genre de littérature qu’il a qualifiée de « terrorisme sexuel ». La liberté d’expression étant une valeur indiscutable, il me semble cependant qu’il n’y a pas lieu d’encourager le terrorisme…
Les étés de l’enfance
La Bretagne et ses chemins creux, ses champs de blé en bord de mer, ses rafales de vent, la musique de sa langue… Au fil de très belles pages, J.M.G Le Clézio évoque les étés de son enfance, dans les années 1950, lorsqu’il quittait la touffeur de Nice pour rallier Sainte-Marine, dans le Pays Bigouden.
Il se souvient, sans idéaliser, comme lorsqu’il dépeint, de façon saisissante, ces petits cousins semblant sortir du Moyen-Âge, au hameau du Cleuziou (talus, en breton). Et salue les hommes, qui ont su préserver le patrimoine et une certaine idée de la nature, avec « cette constance silencieuse qui est la véritable identité de la Bretagne »… (F.P.)
Chanson bretonne, Gallimard, 154 pages, 16,50 €. E-Book 11,99 €.
D’autres ouvrages de J.M.G Le Clézio à (re)découvrir pendant ce confinement : Le procès verbal, son premier livre publié (Folio/Gallimard, 1963) ; Désert (Gallimard, 1980) ; Le chercheur d’or (Gallimard, 1985), La quarantaine (Gallimard Babellio, 1997) ; L’Africain (Folio, 2004) ; Ritournelle de la faim (Gallimard, 2008)…